Fermes collectives et socialisation de l’alimentation : des outils pour une démocratie alimentaire

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Permettre à tout le monde d’avoir accès à des denrées alimentaires de qualité, produites dans le respect de l’environnement et du vivant, en rémunérant de façon juste le travail nécessaire à la production, transformation et distribution… voici l’équation difficile à résoudre dans le contexte économique actuel. Agriculteurs-trices, militant.e.s associatifs et citoyen.ne.s échangeaient sur ce thème, samedi 04 novembre 2023, à l’initiative du Pôle ESS du territoire de Plöermel et du réseau Repas(1). C’était au Champ Commun, à Augan. Retour sur cette rencontre.

La quantité de main d’œuvre nécessaire à la ferme de Trevero détermine les prix de vente des produits qui sont élevés, reconnaît Benjamin, installé depuis 5 ans sur une ancienne ferme laitière de 90 ha reconvertie. Elle produit aujourd’hui céréales et légumineuses pour la consommation humaine, oeufs, porcs, et bœufs en agriculture biologique. Il emploie avec son associé, 6 salariés. Le souhait de concilier juste rémunération de la main d’œuvre et vente de produits accessibles au plus grand nombre n’est pas réalisable dans le contexte actuel, selon lui. Benjamin regrette que leur projet ne soit pas généralisable, tant en ce qui concerne la mise en œuvre, qu’en ce qui concerne la capacité des consommateurs à mettre le prix pour acquérir ces produits.

Maela, installée sur une ferme collective à 5 associés, souligne quant à elle le problème plus profond du manque de porteurs de projet à l’installation agricole. Le nombre actuel d’agriculteurs et agricultrices (400 000 chefs d’entreprises et 600 000 salarié.es) est en constante diminution. Pourtant, aucune amélioration des pratiques agricoles (diminution de l’usage des pesticides, allongement des rotations culturales, maintien et développement des fermes en polyculture-élevage) ne peut être espérée sans que ce ne soit accompagné d’une augmentation importante de la force de travail dans nos campagnes.

De nombreuses fermes cherchent actuellement des repreneurs, mais la majorité des porteurs de projet, non issus du milieu agricole, sont plutôt attirés par la production maraîchère, qui s’avère malheureusement une impasse pour un grand nombre d’entre eux, expose-t-elle. Pour remédier à cette situation, les fermes collectives sont une piste à creuser.

Comme le rappelle Laura,membre de l’association Réseau Salariat, le système alimentaire comprend, la production et la consommation, mais aussi la transformation et la distribution. C’est l’ensemble de ce système qui s’est industrialisé depuis la seconde moitié du XXème siècle. Et le phénomène s’est encore amplifié avec le virage néolibéral des années 1980 qui a imposé ses dogmes (absence de régulation, libre-échange généralisé à l’échelle internationale…). Les conséquences écologiques et sociales de ces orientations sont considérables.

La segmentation du marché de l’alimentation, réponse apportée par le système marchand à l’œuvre, ne permet qu’à la classe la plus aisée de la population d’avoir accès à une alimentation de qualité et respectueuse de l’environnement. La bonne conscience écologique, tout comme l’alimentation de qualité, est un produit de luxe.

Une précarité alimentaire intolérable aux multiples facteurs

Localement, l’exemple de l’ELFE, une association réalisant des tournées avec son « car à vrac » dans le Nord-Est du Pays de Ploermel, souligne la réalité et l’augmentation de la précarité alimentaire. Pour Pierre, membre de l’association, dans notre société, la précarité alimentaire est prise en charge par des bénévoles qui consacrent un temps et une énergie démesurée pour combler les défaillances du système politico-économique.

Cette situation, qui se retrouve au niveau national (2) n’est pas acceptable.

L’Elfe, réalise 11 à 12 tournées par semaines, ce qui mobilise 25 personnes bénévoles. L’essoufflement des bénévoles est évoqué par Cécile, également membre de l’association.

La diffusion et la reproduction d’une telle initiative dans d’autres secteurs géographiques est un souhait qui reste inachevé à l’heure actuelle tant cela demanderait de temps et d’énergie en plus de celle déjà fournie.

Cette précarité alimentaire s’explique par de nombreux facteurs, notamment la hausse de la part du logement dans le budget des ménages. De plus, dans un contexte inflationniste, la part du budget dévouée à l’alimentation est bien souvent la seule sur laquelle il est encore possible de rogner.

La Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA) : un outil à s’approprier, construire, tester pour le voir, un jour, advenir

La SSA ? Ce serait l’intégration de l’alimentation dans un régime général de la Sécurité sociale, tel que celui qui a été initié en 1946 : universalité de l’accès, conventionnement des professionnels (producteurs / transformateurs / distributeurs) réalisé par des caisses gérées démocratiquement, financement par la création d’une cotisation sociale à taux unique sur la production réelle de valeur ajoutée. (3)

Ainsi un budget alimenté par des cotisations sociales permettrait :

– d’allouer une somme déterminée à tous les citoyens leur permettant de s’approvisionner dans des entreprises conventionnées

– de rémunérer justement les travailleurs et travailleuses du système alimentaire

– de financer les outils et infrastructures dont la nécessité au développement du système alimentaire aura été établie démocratiquement

Dans leur ouvrage, Laura et Kevin, analysent le système alimentaire actuel et font une ébauche de ce que pourrait être la Sécurité Sociale de l’Alimentation.

Pour Kevin, l’histoire de la sécurité sociale est la preuve qu’il est possible de socialiser et gérer une partie de l’économie (santé, chômage, retraite) de façon démocratique.

Des initiatives locales sont en cours ou en projet au niveau national (Montpellier (4), Bordeaux…). Ces initiatives ne peuvent être qualifiée de Sécurité Sociale de l’Alimentation, car une telle qualification nécessiterait une remise en cause globale du système politico-économique. Il s’agit, selon Kevin, plus de tentatives de démocraties alimentaires, permettant à des collectifs de citoyens et citoyennes de s’emparer de ces problématiques. Des tentatives néanmoins nécessaires pour se familiariser avec de telles pratiques.

Pour les acteurs de ce vaste projet, la SSA est un horizon vers lequel tendre, qu’il convient de tester localement, sur lequel nous devons nous former et communiquer afin de faciliter son appropriation et permettre, un jour, sa réalisation.

Par Martin S

Présentation des intervenants :

– Benjamin de la Ferme de Trevero (5) à SERENT, installé depuis 5 ans sur une ancienne ferme laitière de 90 ha. Plusieurs ateliers co-existent en complémentarité sur la ferme en agriculture biologique (cultures pour l’alimentation humaine, porcs, poules pondeuses, et vaches allaitantes). 8 personnes sont nécessaires pour assurer le travail, 2 associés et 6 salariés.

– Pierre et Cécile de l’association l’Elfe, l’Epicerie locale favorisant l’entraide (6). L’Elfe est une association possédant un « caravrac », camion-épicerie tournant sur 12 communes du Nord-Est Morbihan. Les produits proposés sont bio et locaux.Une caisse solidaire existe. Elle est alimentée lors de différents événements (soupes populaires) ou appel aux dons. Elle permet d’offrir un tarif à moitié prix pour les personnes s’estimant en précarité. L’Elfe pratique également le glanage auprès de particulier ou professionnel, permettant ainsi de revendre à prix libre des produits récupérés gratuitement.

– Kevin : salarié-paysan par l’association Le Plat de Résistance (7) et co-auteur du livre Régime Général. L’association Le Plat de Résistance occupe une ancienne porcherie industrielle reconvertie en cantine et élevage de truites en aquaponie, sur un terrain d’un hectare planté en verger. L’activité principale est la cantine qui propose un repas par semaine sur place à base de produits bio, locaux et paysans. L’activité de cantine peut également être mobile pour aller soutenir différentes luttes en réalisant sur place des repas militants.

– Laura : membre du Réseau Salariat, co-autrice du livre Régime Général, est membre du Réseau Salariat (8) association d’éducation populaire dont « l’objectif est de prolonger, diffuser une pensée révolutionnaire orientée vers l’appropriation collective des moyens de production (aussi bien industriel que sanitaire, culturel, éducatif…) et l’octroi à toutes et à tous d’un salaire à vie ».

– Maela, du GAEC des Folaisons (9) à PLUHERLIN, autrice du livre Fermes Collectives, le guide très pratique aux Editions de la France Agricole. Le GAEC est constitué de 5 associés qui s’occupent de 5 ateliers en agriculture biologique (vaches laitières, brebis laitières, transformation fromagère, boulange et maraichage) dont les produits sont commercialisés en circuit court.

(1) Pôle ESS’entiel : https://www.facebook.com/essentielploermel/

Réseau REPAS : http://www.reseaurepas.free.fr/

(2) https://www.arte.tv/fr/videos/111777-003-A/arte-regards/ ;

(3) https://securite-sociale-alimentation.org/

(4) https://reporterre.net/A-Montpellier-on-teste-une-caisse-alimentaire-facon-Secu

(5) Ferme de Trevero : https://www.trevero.fr/

(6) L’Elfe : https://lelfe.org/

(7) Le plat de Résistance : https://vivant-le-media.fr/plat-de-resistance-combrand/

(8) Réseau Salariat, https://www.reseau-salariat.info/

(9) Ferme des folaisons, https://fermedesfolaisons.fr/

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