Combien sont-ils sur le territoire ? Les paysan.ne.s malades des pesticides se terrent souvent encore dans le silence. Le Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest en a accompagnés plus d’une dizaine autour de Ploërmel. Certains sont morts avant que leur maladie ne soit reconnue professionnellement. André* et sa femme se sont battus. Ils ont refait leur vie en dépit des obstacles. Le couple nous a ouvert ses portes…
*Pour respecter l’anonymat, le prénom a été changé.
Le mois de juillet 2015 était sec et les pailles, matures. Au volant de son tracteur, André moissonnait le colza. La récolte s’annonçait bien, mais il s’est senti mal. Ce jour là, il était faible. Alors il a stoppé son engin au beau milieu du champ. En scrutant ses bras nus, il a vu des taches bleues. Sous son t-shirt, d’autres hématomes. Inquiet, André est rentré chez lui. Il a pris illico rendez-vous chez son médecin. Puis tout s’est enchaîné très vite. La prescription d’une prise de sang. Un rappel téléphonique alarmant : « Allez tout de suite à l’hôpital, on vous attend ! »
André n’en n’est ressorti que le 22 octobre 2015. Il se souvient précisément de la date. Comment l’oublier ? Il venait de passer presque quatre mois en chambre stérile. « Ils ont d’abord eu du mal à établir un diagnostic », se souvient-il. Puis ils ont collé trois mots inintelligibles sur sa maladie : aplasie médullaire idiopathique. « En gros, je ne fabriquais pas assez de globules rouges, explique-t-il. Un problème de moelle épinière ».
Pour ses médecins, pas de doutes : « Je leur ai parlé des produits que j’utilisais, de la façon dont je travaillais, ils ont tout de suite fait le rapprochement avec les traitements phytosanitaires ». En cause, une exposition prolongée et cumulée au benzène et à ses dérivés, utilisés comme adjuvants ou solvants dans des formules de pesticides. « Ce sont des perturbateurs endocriniens », précise André qui s’est documenté. Il fait parti du Collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’Ouest, une association qui lui est venue en aide pour faire reconnaître à sa juste valeur son taux d’invalidité devant le tribunal. La maladie d’André compte parmi les maladies professionnelles reconnues chez les agriculteurs.
André est aujourd’hui un autre homme. Il a les yeux qui scintillent et le sourire de ceux qui gardent le goût de la vie. Attablé dans la salle à manger d’un pavillon qui jouxte une forêt, il regarde sa femme. Elle sort elle-même d’une chimiothérapie. « On se demande si c’est pas aussi lié aux pesticides : c’est elle qui touchait et lavait mes vêtements de travail imprégnés ! », fait-il remarquer. Courageux, soudé, le couple a traversé le pire.
Il a fallu abandonner la ferme, les 180 hectares, les 80 vaches, le GAEC, les associés… Après deux ans de traitements, 70 perfusions, un nombre incalculables de contrôles médicaux et des médicaments à vie, André a fait le dur choix d’arrêter son métier. « Je voulais rester paysan ! J’étais furieux, j’étais amer ».
Fils d’agriculteurs, il avait pris la suite de ses parents. « Mon père est décédé d’un cancer. Les agriculteurs ne font jamais de vieux os ! », soupire-t-il. Le père avait démarré au sortir de la guerre. « Il fallait produire, sans prévention… Il pulvérisait sur un tracteur sans cabine. On respirait ce qu’on dispersait. Et moi j’ai fait pareil. Un tracteur sans vitre. Pas de masque, pas de gants !» Installé en système conventionnel, il se souvient avoir utilisé « toute la gamme » ! « Désherbages ciblés, insecticides, fongicides…, le tout pour chaque culture, énumère-t-il. Les coopératives poussent à cette consommation. Or, quand on va chez le docteur, il n’est pas lui même le pharmacien ! », lance-t-il, désabusé par le manque d’indépendance dans ce système.
Avant sa maladie, il était en froid avec sa coopérative. « Elles vivent sur le dos des agriculteurs et personne ne veut y perdre sa place ! ». Faisant fi des directives, il avait animé un groupe de paysans qui faisaient des essais pour diminuer les phytosanitaires. « J’avais réussi à épandre 2 à 3 fois moins que prévu pour le même résultat ! » Au delà de la santé, ce sont les économies qui motivaient : « le budget pesticides, pour ma ferme, c’était 15 à 20 000 euros par an ! »
Il est maintenant salarié dans le commerce. La reconversion a été difficile. « J’avais de gros emprunts sur le dos ». André était pris dans ce qu’il appelle « la boucle infernale » : « On emprunte beaucoup, il faut produire beaucoup ! ». Ses associés ont racheté ses parts. Il ne les envie plus. Il leur dit de faire attention. Mais ceux-ci continuent comme avant, en mettant juste des gants et des masques plus souvent.
« Certains agriculteurs comprennent mon histoire. D’autres, ne veulent rien savoir. C’est pas la peine de leur expliquer. On part au fiasco ! Ils disent : t’es trop fragile ! C’est lié à d’autres faiblesses personnelles… » Son seul espoir : les jeunes ! « Ils sont plus soucieux de l’environnement… Il faut continuer à changer leur éducation… Si j’avais 20 ans aujourd’hui, je me lancerais en bio, en mode indépendant ! ». Il faudra selon lui attendre une dizaine d’années « que le vieux noyau dur partent en retraite pour entamer un grand tournant ».
Mais est-ce qu’il ne sera pas trop tard ?
Par Cécile R.
Pour contacter le Collectif de soutien aux victimes de pesticides : tél. 0682586732 / victime.pesticide.ouest@ecosolidaire.fr
L’avenir de l’agriculture ne peut se construire contre notre santé et notre environnement « Les pro-pesticides sans limites ne pourraient-ils pas se rappeler que nombre de leurs collègues et des riverains sont très malades ou décèdent à cause des pesticides ? », questionne le Collectif de soutien aux victimes de pesticides de l’Ouest, dans son communiqué de février 2024 sur les réponses macronistes à la crise agricole. Les fausses solutions qui consistent à « remédier à l’excès de normes environnementales ou supprimer les soi-disant surtranspositions du droit européen dans le droit français, émanent de dirigeants agricoles qui prétendent représenter les agriculteurs », souligne le Collectif. « Depuis des mois, une grande régression semblait se profiler. Nous y sommes ! » En novembre 2023, la Commission Européenne avait déjà permis la réautorisation du glyphosate pour dix ans. Et le gouvernement français laisse maintenant le lobby agro-industriel décider de tout… A lire sur ce lien :