Le combat de Nora* contre les pesticides

Elle habite une maison mitoyenne à un champ longtemps traité par épandages. Cette mère endeuillée par la mort de son fils relate son combat solitaire contre les pollutions chimiques qui ont ruiné leurs vies.

Par Cécile R.

« On n’est pas grand-chose, contre la machine de guerre en face, qui a tué mon fils », se désole Nora. Nous l’appellerons Nora car elle veut garder l’anonymat. Nora se tient à quelques mètres de sa longère, devant un grand champ en pente. L’inclinaison de cette vaste étendue herbeuse sans haies, qui jouxte sa propriété, descend tout droit vers son potager. « Dans ce champ mitoyen, l’agriculteur plantait en alternance du maïs puis du blé. Herbicides, fongicides, le blé était particulièrement traité. Il épandait pour préparer la terre, puis quand il avait semé », raconte cette mère aux yeux embués. Nora a perdu Yann*, son fils, il y a deux ans. Au regard de la tristesse inscrite sur son visage, on dirait que c’était hier.

Il est mort d’un lymphome à l’âge de 35 ans, une maladie professionnelle pour le régime agricole. Si l’on reconnaît les liens probables de cette maladie avec l’usage de pesticides chez les agriculteurs, après de rudes combats, il est bien difficile d’accuser la responsabilité de ces produits dans le cas de Yann. Il n’était pas agriculteur, il était riverain d’un champ traité. « En tant que riverain, depuis sa conception, jusqu’au moment où il a quitté la maison, il a respiré et mangé ces pesticides », est convaincue sa mère.

L’expression grave, le regard fuyant, elle décrit la scène qui l’obsède : «  L’agriculteur avait un grand pulvérisateur. Dès qu’il passait, on sentait l’odeur. Cela pouvait durer plusieurs heures. Quelquefois, un jour». Elle parle d’une odeur nauséeuse qu’elle a du mal à décrire : « peut-être quelque chose proche du souffre ?… Quand il épandait, lui était enfermé dans sa cabine. Mais pas nous.Il ne prévenait jamais. Dès qu’on le voyait arriver, fallait tout fermer. On devait même retirer le linge qui séchait, sinon l’odeur s’y collait ». Sans aucune précaution, le tracteur roulait le long du talus qui marque la limite de propriété, sans même respecter les 3 mètres de distance de sécurité (1). Nora montre un muret du doigt. « Il le rasait au point d’en faire tomber les pierres ! ». La vieille paroi couverte de mousses lui rappelle Yann. A voir Nora perdue dans ses remords, on l’imagine visualiser l’enfant.

Yann a grandi dans cette longère où elle habite avec son mari depuis quarante ans. Il devait s’amuser à grimper ce talus, gambadant le long du champ. Il a été nourri aux légumes du potager familial probablement contaminé. « Je rinçais tous les légumes », se rappelle Nora emplie de culpabilité en pensant à ses purées. Depuis sa mort, elle n’a plus touché au potager. Depuis sa mort, elle pleure, elle rage et elle se sent coupable. « Yann a souffert. Il est parti très vite. Diagnostiqué trop tard, au stade 4, sa maladie l’a emporté en 7 mois… Les cancers augmentent de façon exponentielle chez les jeunes », lamente la mère devant sa longère.

Epandage de pesticides à Porcaro
Un épandage de pesticides à Porcaro

Nous sommes au centre du Morbihan, dans un village dont on taira le nom. Nora et son mari craignent les attaques en diffamation. On y compte cinq longères de vieilles pierres dans chacune desquelles on dénombre un cancer. « Poumons, sein, os, lymphome… ça fait déjà 4 morts. Vous ne trouvez pas que ça fait beaucoup ? » questionne-t-elle en colère. « Ajouter à cela une personne qui venait occasionnellement : elle a développé un cancer de la peau ! » Quand Yann est tombé malade, elle a tout de suite fait le lien entre son lymphome et les épandages. « Quand on perd un fils c’est un drame, il faut trouver des explications, avoue-t-elle.J’ai cherché les coupables, d’abord le médecin, puis l’agriculteur du coin… Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être cernée par la pollution de l’eau et de l’air ».

Depuis longtemps, bien avant ces morts, Nora et son mari se battaient contre ces épandages. D’abord, bien sur, ils ont questionné l’agriculteur. Par chance ou par malheur, il habite le même village. « La première fois, mon mari lui a dit que ce n’était pas très bon pour lui non plus ». Mais le paysan haussait toujours les épaules. « Après moi le déluge ! », résume l’esprit de ses réponses, se souvient Nora. Face à ce déni, elle a fini par solliciter l’aide de la mairie. Et elle s’est retrouvée face à un mur. « Aucune réponse. Rien ! Le maire était de mèche : il ne peut pas se mettre à dos les agriculteurs, qui sont ses électeurs ! » Très vite, les relations de voisinage ont cruellement dégénérées. Nora et son mari ont été menacés. L’agriculteur, le poing levé, n’a pas supporté le jour où ils l’ont photographié. Il faut des preuves pour contester la proximité du pulvérisateur de la propriété. « Des comme toi, j’en chie tous les jours ! » lui a-t-il lancé. Un détails parmi le déluge de réflexions injurieuses qu’elle se souvient avoir encaissé. « Aujourd’hui, mon mari a baissé les bras. Il a peur des représailles ». Dernièrement, dans une réunion communale, l’agriculteur est venu trinquer avec lui en lançant, ironique : « Attention ! Ce vin c’est pas bio ! ».

Le combat de Nora contre les pesticides a cassé une partie de sa vie sociale. « De toute façon, on ne s’est jamais vraiment intégrée, explique-t-elle. Moi je suis d’origine maghrébine et nous sommes venus de Paris. J’avais été mutée ici comme institutrice à l’école publique. Eux étaient plutôt adeptes de l’école catholique. Ils ne nous ont jamais accepté ». Nora a été traitée d’étrangère. « Quand je passais en voiture, ils disaient : ben alors, tu vas pas à vélo, toi l’écolo !… C’est terrible que les agriculteurs d’extrême droite soient en augmentation. Ils réclament toujours moins de normes environnementales ! ». Plus ils obtiennent le droit de polluer, plus Nora est assaillie par un sentiment étouffant d’impuissance.

« Mais rien ne bouge », se lamente-t-elle. En signifiant qu’elle veut arrêter là, qu’elle n’a plus la force d’aller plus loin dans notre entretien, elle répète : « On n’est peu de chose, contre la machine de guerre en face, qui a tué mon fils ». Après la mort de Yann, elle a écrit au Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest. Elle a reçu de cette association des informations sur ses droits de riveraine et de l’écoute. Sortir de sa solitude l’aide à faire des petits pas vers la fin de son deuil. Témoigner dans une réunion collective où riverains touchés et agriculteurs malades (2) se comprennent enfin lui redonne de l’espoir.

* Les prénoms de Yann et Nora ont été inventés pour respecter leur anonymat.

1 : Un éloignement de 3 à 5 mètres d’une propriété mitoyenne est nécessaire pour la pulvérisation sur les cultures basses, selon les lois actuelles.

2 : Lire l’article dans les archives de Déambulaterre « L’amertume d’André, paysan victime de pesticides »

A suivre prochainement dans Déambulaterre :

Tout savoir sur les droits des riverains victimes des pesticides…