Un budget en bon père de famille

C’est l’époque où nous parlons budget de l’État. Et il y a deux expressions de manipulation mentale (également nommées « éléments de langage ») qui me font réagir. Il s’agit de « gérer un budget en bon père de famille » ainsi que la « startup nation ». L’objectif est de nous conditionner avec des termes simplistes. Qui sont censés rendre évident qu’un pays ne doit pas dépenser plus qu’il ne gagne et qu’il faut réduire les services publics. Seulement voilà, notre pays n’est, ni une famille, ni une entreprise…

Par François

Commençons par  la « startup nation ». Non, un budget ne peut viser à faire des bénéfices, car un gouvernement est à but non lucratif. Nous connaissons tous des associations à but non lucratif, qui œuvrent pour le bien des plus démunis (santé, alimentation, libertés…). Imaginez un seul instant qu’elles se conduisent comme des «startups nations». Qu’elles fassent des bénéfices, qu’elles soient cotées en bourse. Nous serions scandalisés à la pensée que l’aide, à des pays sous les bombes ou subissant des catastrophes naturelles, n’aille pas jusqu’au dernier centime vers les peuples qui souffrent. Que l’alimentation à destination des plus pauvres soit détournée pour faire du profit. Qu’au lieu d’accompagner les malades, on utilise l’argent pour financer des activités commerciales. Il en est de même pour l’état. Il ne peut faire de bénéfice.

Par ailleurs, cela nous garantit les plus grandes économies, car nous en profitons tous. Les services publics restent, de loin, les moins couteux. Car contrairement au privé, ils n’ont pas à financer de publicité ou d’actionnaires. Chaque fois que l’on réduit d’un euro les services publics, c’est un euro de moins en impôt certes. Mais c’est également plusieurs euros de dépenses pour notre budget personnel. Car cela nous oblige à nous tourner vers le privé. Donc, davantage nous dépensons en service public collectivement, moins nous dépensons personnellement.

Soit, mais aurions-nous les yeux plus gros que le ventre ? L’état doit-il limiter son revenu (l’impôt) ? Bref devrait-il avoir une gestion en « bon père de famille » ? Outre que cette expression à des relents patriarcaux, elle n’a pas de sens à l’échelle d’un pays. Imaginons-nous une famille prêter à son voisin 100 € et dire qu’il ne voudra être remboursé que de 90 € pour gagner de l’argent ? C’est stupide pour une famille. Pourtant c’est la réalité pour une nation. Souvenez-vous que la BCE (Banque de la Communauté Européenne) a fait des prêts à −0,5 %. Oui à un taux négatif ! Cela demande une explication.

La richesse vient de la circulation de la monnaie. C’est l’économiste Keynes (1) qui décrit le phénomène. Donnez un salaire à quelqu’un et il pourra payer son boulanger, qui à son tour pourra payer son plombier, qui à son tour pourra payer son épicier, etc. etc. L’état possède des leviers pour injecter cet argent : les fonctionnaires, les retraites, les dotations des communes… Chaque fois que l’on réduit la dotation d’une commune, ce sont les artisans, les commerçants locaux qui n’auront pas de marchés publics et réduiront leurs activités.

Évidemment, il y a une limite. Donner un salaire de 100 000 € à quelqu’un, ne le poussera pas à manger 100 baguettes par jour, ni à changer 100 robinets, ni consommer une tonne de légume. Et c’est pour cela qu’il ne sert à rien de soutenir les plus gros (entreprises ou particuliers), mais qu’il faut soutenir les plus modestes : retraités, chômeurs, Smicards, petites communes…

Pourtant le choix actuel est inverse. Il consiste à réduire le soutien économique des plus modestes et de financer les plus puissants.

C’est bien joli, mais d’où viendra l’argent ? Contrairement à une famille, l’état n’a pas de salaire à priori. Contrairement à un foyer, c’est lui qui fixe son « revenu » (l’impôt) en fonction des dépenses qu’il prévoit. Cela se déroule à l’Assemblée Nationale. Les derniers débats sont éclairants. Il ne s’agit que de choix politiques. À nous de décider d’exonérer les faibles et de prélever les puissants.

Mais que fait-on des déficits ? Il ne faut pas confondre déficit et endettement. L’endettement peut-être souhaitable pour investir et faire fonctionner les mécanismes keynésiens (2). En revanche, le déficit, lui, est actuellement organisé. En ne prévoyant pas les recettes correspondant à l’équilibre du budget, en faisant des cadeaux fiscaux aux plus aisés, il fait croire que les services publics ne fonctionneraient plus. Et ce, dans le seul but de préparer des privatisations à l’avantage de groupes qui financent des campagnes électorales (les fameux lobbys). Mais, au risque de se répéter, la réduction des services publics, c’est au final davantage de dépenses pour chacun d’entre nous.

Soyons sérieux! À quoi cela servirait de réduire l’impôt collectif, si nous devons dépenser le double à titre personnel? L’union fait la force. Ce qui compte, c’est ce qui reste à la fin du mois. Personnellement, je préfère aller dans un hôpital (donc public) plutôt que dans une clinique (donc privée). Au vu des dépassements d’honoraires, il n’y a pas photo.

Aujourd’hui, il est question de réduire les indemnisations chômage, de réduire les retraites, de réduire le remboursement des malades, d’augmenter les jours de carence… Alors que dans le même temps, des cadeaux fiscaux sont fait aux plus fortunés. Pourquoi les plus faibles devraient-ils subir ces choix idéologiques ? Quant à la CMU, nous en profitons tous, car elle nous protège de la propagation des virus et autres maladies.

La prochaine fois que vous entendrez « budget de bon père de famille » ou « startup nation », pensez aux dépenses supplémentaires que cela engendrera à votre porte-monnaie.

Non, l’État n’est, ni une famille, ni une entreprise.

Notes :

1 : John Keynes : https://fr.wikipedia.org/wiki/John_Maynard_Keynes

2 : keynésianisme : https://fr.wikipedia.org/wiki/Keyn%C3%A9sianisme

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.