Basée à Concoret dans le Morbihan, l’association Sylv n’ Co réfléchit à une valorisation de la filière bois d’œuvre de l’amont à l’aval pour relocaliser son utilisation dans une démarche socialement et écologiquement responsable. François, membre depuis 4 ans et nouveau propriétaire de 10 hectares de forêt, nous invite pour une balade initiatique à la sylviculture. Sa mise en action pour cet achat, en faveur de la protection de la forêt, fait suite à la lecture de « la promesse des arbres » de Peter Wohlleben.
Le rendez-vous a été donné le samedi matin à 9h30. François, notre guide, Pierre-Antoine, charpentier-secrétaire, Dario, paléobotaniste (retraité) et président, François Roche, expert en gestion forestière (retraité) et les membres de l’association Sylv n’co, nous accueillent pour une balade pédagogique.
Pour l’association, chaque premier samedi du mois est l’occasion d’une sortie en forêt afin de faire connaître, à travers l’étude des sols, floristique et faunistique, les pratiques et l’expérience comme la sélection des arbres, mais aussi suivant les saisons, de participer à des travaux de nettoyage pour favoriser la régénération naturelle ou faire de la plantation d’arbres.
L’activité de l’association ne s’arrête pas là. Elle a créé une Amap bois-bûche avec des chantiers collectifs. De la sélection à la coupe, en passant par la cantine, chacun participe à hauteur de ses possibilités. Les bûcherons professionnels sont payés à l’heure et non à la stère, ce qui enlève la pression de la rentabilité. De plus, Sylv n’co est une antenne locale du Réseau pour les Alternatives Forestières (RAF), pour transformer les pratiques vers la sylviculture douce, en connectant et en soutenant les porteur·ses d’alternatives.
François nous explique que les parcelles qu’il a acquis ont une histoire. Entre pâturage, lande et forêt, sa démarche est d’étudier, d’observer. Pour cela, il fait appel à une écologue pour lui permettre d’anticiper lorsqu’il faudra investir. Grâce aux photographies, ils arrivent à remonter sur environ un siècle pour retrouver la végétation, les coupes et l’utilisation faites des terres. A son tour, il en fera autant. Avec un panel de photos, il pourra témoigner de l’évolution des écosystèmes car comme le rappelle Dario : « avec la forêt le temps se compte sur un minimum de 30 ans ». Il va aussi donner un statut de protection aux parcelles jusqu’à 99 ans, grâce à loi pour « la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Un outil juridique permettant aux propriétaires fonciers de faire naître sur leur terrain des obligations durables de protection de l’environnement : l’obligation réelle environnementale (ORE).
Nous apprenons par François Roche, qu’au 19ème siècle, une loi sous Napoléon III a obligé à morceler les communs afin de favoriser la propriété privée. En faisant des parcelles plus ou moins carrées et des chemins, cela rendait les bois pénétrables et donc plus facilement exploitables.
Nous entrons donc, dans une première parcelle de feuillus qui sera destinée à un usage pédagogique. Notre visite se fera à travers différents milieux, entre molinie, une herbacée vivace qui empêche les graines de prendre, ce qui en langage forestier s’appelle une situation de blocage. Cela est dû à des coupes rases sur des cultures de résineux faites il y a 15 ans. Ailleurs, c’est le bouleau et le saule qui sont les espèces pionnières. Sans aucune intervention, ils renouvellent l’humus sur des sols acides qui plaisent aux conifères, ce qui dans le futur permettra à d’autres feuillus de s’installer.
Dario nous explique que les ronces arrivent grâce à la lumière et permettent aux jeunes arbres de grandir en sécurité en les protégeant du gibier qui s’en nourrit, « il faut planter dans les ronciers, dans les ajoncs ». Ici s’est installé du genêt à balai, originaire de la péninsule ibérique. C’est une espèce invasive pyrophile (la chaleur fait germer les graines) mais c’est aussi un fixateur de l’azote atmosphérique comme d’autres légumineuses, en symbiose avec des bactéries de leur rhizosphère, qui se localisent généralement dans des nodosités situées sur leurs racines (1).

Parcelle du versant nord, milieu humide avec une végétation dense de molinie.
Sur le versant nord, plus humide, la molinie se plaît. « Créer des méandres pour faire circuler l’eau ? Ou laisser faire ? Il faudra peut-être 10 ou 15 ans pour que les bouleaux arrivent. Toutefois avec davantage de périodes de sécheresse, attention aux risques d’incendies ! Il faudra intervenir davantage ! Planter de jeunes arbres de 3 ou 4 ans. Mais quelles essences ? », explique Dario. « Milieux humides sols riches : de l’aulne de Corse ou bien du Caucase ? », suggère François Roche. « Mais attention aux essences exotiques ! », met en garde Dario. « Le climat change certes, mais qu’en est-il de la biodiversité du milieu ? Il y a déjà une banque de graines présente dans le sol. Faut-il gratter le sol comme les sangliers ? » A les écouter,il y a matière à réflexion et autant de solutions que de problématiques.
Tout en marchant entre et sur les touradons (les mottes créées par la molinie) et en prenant soin d’éviter de mettre le pied dans l’eau de cette zone humide, nous apprenons que ces terrains étaient utilisés pour faire de la litière ou pour amender les champs. Cette pratique entretenait la lande.
Nouvel arrêt, changement de décor. Sans le voir, nous nous trouvons sur un ancien chemin d’accès aux champs. On peut deviner les talus qui permettaient de délimiter les parcelles. On peut y voir des vestiges de trognes, une taille spécifique des arbres de la haie, qui faisait un bois d’œuvre utilisé pour des éléments de la charpente.
Ici le sol est peu profond. Chez le pin sylvestre on observe une croissance de 30cm/an. Chaque couronne de branche permet de compter les verticilles (2). Cette croissance lente fait du bois plus dense, au contraire des feuillus pour lesquels le bois de printemps et le bois d’été vont donner leurs propriétés mécaniques. « Le chêne qui pousse vite sera plus dense, il faut qu’il ralentisse sa croissance en diamètre pour le couper et l’exploiter de manière optimale», insiste François Roche. Aujourd’hui, dans un souci de rentabilité des modèles économiques, on ne prend plus en compte l’arbre et sa croissance, la forêt et son sol. Justement, Clothilde l’écologue nous a rejoint.
A présent, nous nous trouvons dans une clairière de fougère aigle. C’est une zone dangereuse pour les incendies. La fougère est résistante, elle a des racines profondes et bloque la lumière. Sa coupe favorise les jeunes pousses. Il faut la coucher pour empêcher la repousse. La fougère va partiellement se redresser, mais à force cela la fatigue. On peut utiliser un rouleau tracté par un cheval ou un petit tracteur. Ici, c’est un bocage abandonné : pas de boisement depuis 1950. C’était un milieu agricole. On se trouve probablement dans une ancienne prairie. On le voit aux arbres : certains plus vieux ont des branches basses et ont poussé en pleine lumière, tandis que les plus jeunes qui ont poussé serrés sont bien droits, ils ont un tronc élancé et une couronne.

Clothilde, écologue qui vient de nous rejoindre, est là pour faire un diagnostic, un inventaire. Elle observe si c’est un peuplement d’unité homogène boisé ou une hétérogénéité de feuillus. Puis il y a une flore indicatrice pour le sol. Il faut voir si il y a un engorgement permanent ou temporaire, afin de vérifier la potentialité du milieu. La caractéristique du sol, du réseau d’eau et le sous-sol, déterminent les propriétés physico-chimiques qui influencent la fertilité. Il faut avoir conscience de ce qui est déjà là, « on constate ». Pour François, l’objectif, c’est de prioriser ce qui va prendre du temps, de l’argent. Faut-il privilégier telle ou telle essence ? Quel entretien est-il nécessaire ou pas ? En introduisant du pâturage pour les risques incendies, par exemple.

Pour ce faire, Clothilde est venue avec une canne pédologique. Elle arrive à faire un premier prélèvement à 10cm, puis se décale légèrement pour rentrer dans le sol de nouveau à 20cm. La roche est là, c’est un sol limoneux. Au contact de l’eau, le schiste se dégrade et crée du limon. Il y a beaucoup de matière organique. C’est un sol très sensible au tassement avec un peu de sable. Il faudra enlever la fougère pour permettre une régénération naturelle, mais la faible profondeur rend le milieu sensible aux périodes de sécheresse. Quelques mètres plus loin, pour un œil averti, les arbres autour présentent des signes de stress hydrique : les bouts des rameaux sont secs. Si les bourgeons terminaux sont dégradés, ce sont les autres bourgeons qui reprennent, même sur le tronc, grâce à l’auxine, une hormone qui régule la croissance. On observe des stigmates de 2022 et 2025. Ce sont les cicatrices des bourgeons sur les rejets qui nous l’indiquent. Tout cela joue sur la croissance de l’arbre. « Les feuilles commandent les racines », précise Dario.
Une autre « clef » de détermination est l’étude de l’humus forestier. Une première étape est d’observer la couche de litière. Si elle se dégrade vite, on dit « mull ». Cela signifie qu’il y a beaucoup de décomposeurs. On dit « mor » s’il n’y a pas ou peu d’activité. « Moder » correspond à une activité biologique moyenne (3). On regarde si la litière neuve est dense, si la litière vieille est discontinue. Et enfin, la litière fragmentée, lorsque l’on ne reconnaît plus la matière organique. Puis l’horizon OH (4) : plus cela ressemble à de la terre de bruyère très épaisse plus l’humus est pauvre, car il n’y a pas beaucoup d’activité. « Moder ! C’est une bonne nouvelle et le sol est moyennement acide», annonce Clothilde.
Un autre carottage est effectué : 40cm. Ici c’est litière, humus, schiste. Plus le sol est profond plus il y a de réserve utile en eau pour résister à la sécheresse. « 80cm cela aurait été mieux », tempère Clothilde. Pour savoir si le sol n’est pas hydromorphe (5), il faut regarder la couleur du schiste . Couleur rouille, c’est temporaire. Bleu, c’est permanent. Là, ce n’est pas le cas.
Si le but est de favoriser les feuillus, il faut tout de même laisser les résineux pour garder l’ombre. Le pin avec ses aiguilles laisse passer la lumière et les jeunes chênes apprécient, surtout en cas de canicule.
La balade se finit et nous retrouvons le chemin de terre. Là sur le talus, François nous fait remarquer un alisier torminal, du même genre que les sorbiers. Le fruit est comestible et son bois rosé au cœur foncé et dur est un excellent bois d’œuvre. Il a été progressivement remplacé par les bois tropicaux.
Si le changement climatique et les incendies liés à l’activité humaine bouleversent les propriétaires, les utilisateurs et toute la profession de la gestion forestière, l’obligation au débroussaillement, quoi que indispensable, ne doit pas occulter la préservation de la biodiversité (6) et la prise en compte des sols.

Rameau avec fruits d’alisier torminal.
https://www.alternativesforestieres.org/Sylv-n-Co-802
1 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fixation_biologique_du_diazote
2 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Verticille
3 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Humus
4 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Horizon_(p%C3%A9dologie)
5 : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hydromorphie
6 : https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/loi-reconquete-biodiversite-nature-paysages
7 : https://www.afes.fr/ressources/stockage-recyclage-et-transformation-de-la-matiere-organique/